Former par la fiction : quand les séries boostent la formation en entreprise
Et si vos formations se regardaient comme une série ?
Aujourd’hui, nous n’avons jamais autant regardé de vidéos qu’auparavant : un adulte passe en moyenne plus de 4h30 par jour devant des contenus vidéo (1). Dans le même temps, en salle de formation, combien de participants décrochent devant un énième diaporama soporifique ?
Imaginons un instant que vos modules de formation captivent vos employés comme un bon épisode de série. Utiliser la fiction en entreprise, avec des formats inspirés des séries TV, n’a rien d’un gadget : c’est un levier innovant pour former autrement, en particulier sur des sujets complexes ou sensibles. Cet article s’adresse aux responsables RH, aux managers et dirigeants curieux de pédagogie innovante. Nous explorerons comment l’émotion et la narration peuvent décupler l’apprentissage, comment une bonne histoire engage vos équipes, et comment la fiction peut ouvrir le dialogue sur des sujets délicats. À la clé, des idées concrètes pour passer de la théorie à l’action.
Émotion : le catalyseur caché de l’apprentissage
L’émotion est un formidable accélérateur de l’apprentissage.
De récentes recherches en neurosciences éducatives l’affirment : les émotions jouent un rôle essentiel dans la cognition, la mémoire et la motivation à apprendre (2). En formation, un contenu qui fait vibrer l’apprenant aura bien plus d’impact qu’un cours froidement factuel.
Pourquoi ? Parce qu’une information liée à une émotion s’ancre beaucoup mieux dans la mémoire : on retient naturellement ce qui nous a fait rire, surpris ou même choqué.
« L’émotion est un levier puissant et trop sous-exploité en formation. C’est un vecteur d’ancrage mémoriel qui s’active sans effort », rappelle à juste titre un expert du secteur (1).
Concrètement, un événement vécu avec une charge émotionnelle forte laisse une empreinte durable, là où un contenu neutre s’oublie vite (2). Cela vaut pour des émotions positives (joie, surprise) comme négatives (peur, indignation) : l’adrénaline libérée par l’émotion sert de « colle » mnésique.
À l’inverse, des formations e-learning trop « plan-plan », dépourvues de liant émotionnel, peinent à marquer les esprits – et laissent peu de traces une fois la session terminée (2)(3). Les chiffres sur la courbe de l’oubli sont d’ailleurs implacables : sans stimulation particulière, les apprenants ont déjà oublié près des deux tiers du contenu enseigné dans les 24h (3). Face à ce défi, injecter de l’émotion via la fiction apparaît comme une solution de choix pour fixer les connaissances sur le long terme.
Narration : le pouvoir engageant des histoires
Raconter une histoire, c’est captiver l’attention et donner du sens aux apprentissages.
Nos lointains ancêtres le savaient déjà en transmettant leur savoir autour du feu ; et les spécialistes du storytelling le confirment aujourd’hui. Une bonne histoire, avec des personnages et une intrigue, mobilise activement le cerveau de l’apprenant. Résultat : on se souvient bien mieux d’une histoire que d’une liste de faits bruts.
D’après la chercheuse de Stanford Jennifer Aaker, un message présenté sous forme narrative peut être mémorisé jusqu’à 22 fois plus qu’une simple donnée factuelle isolée (4).
L’apprenant s’identifie aux personnages, anticipe la suite, ressent des émotions – bref, il apprend sans s’ennuyer. C’est un vecteur d’engagement majeur : on « binge-watch » volontiers une série à suspense, pourquoi pas une web-série pédagogique ?
D’ailleurs, certaines entreprises l’ont bien compris : par exemple, un organisme de formation en cybersécurité utilise des extraits de séries TV et de films connus pour illustrer ses cours, rendant ainsi ses modules bien plus engageants (5). Sur le marché, on voit émerger des offres de “learning séries” calibrées comme des shows télé : formats courts, scénarios soignés, épisodes à suivre… Lors d’un salon professionnel récent, un atelier intitulé « Cyber.stories » montrait comment une série de fiction peut transformer une formation cybersécurité en expérience mémorable pour les collaborateurs (6). Ces narrations séquencées stimulent la curiosité de l’apprenant, qui a hâte de découvrir la suite de l’épisode et, ce faisant, intègre naturellement les messages pédagogiques distillés tout au long du récit.
Fiction : un déclencheur de discussions sensibles
Au-delà du plaisir et de l’engagement, la fiction joue un autre rôle précieux en entreprise : elle libère la parole sur des sujets délicats.
Une histoire fictive sert de miroir et de prétexte pour aborder des problématiques réelles sans pointer personne du doigt. Par exemple, la mini-série britannique Adolescence, inspirée d’un fait divers autour de la radicalisation en ligne, a récemment ébranlé le public par son réalisme. Elle traite des ravages des contenus toxiques sur un adolescent, et son impact est tel que les autorités éducatives envisagent de l’utiliser en classe pour sensibiliser les jeunes aux dangers des réseaux sociaux (7). En France, le ministère de l’Éducation nationale a annoncé diffuser en collège des extraits de Adolescence accompagnés d’un débat pédagogique (8).
Cette puissance du récit s’applique tout autant en milieu professionnel. Aborder de front des thèmes comme la cybersécurité, la discrimination ou le harcèlement peut mettre mal à l’aise ou susciter du déni. Mais via une fiction, on observe la situation de l’extérieur, à travers des personnages : cela dédramatise et ouvre l’espace de discussion. Dans le domaine de la cybersécurité justement, la sensibilisation passe de plus en plus par des séries choc. Pourquoi ? Parce que la faille est souvent humaine : le facteur humain est à l’origine de 68 % des compromissions de données d’après le rapport Verizon 2023 (9). Une série bien construite comme « La Faille » (dont le titre dit tout) met en scène une suite d’erreurs individuelles entraînant une catastrophe numérique, façon thriller.
Effet garanti : les employés comprennent, ressentent et retiennent la leçon bien mieux qu’avec une note de service. De même, sur les questions éthiques ou managériales, un scénario de fiction peut aborder sans tabou ce qui est parfois tu dans l’organisation. On voit ainsi apparaître dans certaines entreprises des mini-séries internes traitant de diversité, d’inclusion, de sécurité, etc., avec un réel succès.
La Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse a par exemple produit en 2023 une mini-série interne sur la diversité : plusieurs collaborateurs volontaires y ont participé via des ateliers d’écriture pour créer des intrigues tirées de situations vécues en entreprise (10). Dans un grand groupe industriel, un appel à témoignages a même été lancé afin de récolter des anecdotes réelles de salariés piégés par des attaques en ligne, dans le but de co-créer une série interne de sensibilisation à la cybersécurité (11).
La fiction devient alors un outil collectif, qui fait réfléchir, réagir et parler : après la projection d’un épisode, chacun est invité à partager son ressenti, à identifier ce qui a dysfonctionné, à proposer des solutions… Ce type de dispositif pédagogique déclenche des conversations franches que l’on n’aurait peut-être jamais eues en formation classique. Le récit joue pleinement son rôle de déclencheur d’empathie et de prise de conscience.
De la fiction à l’action (et comment s’y mettre)
Former avec la fiction n’est plus une idée farfelue sortie d’un roman : c’est une approche pédagogique éprouvée, à la fois inspirante, vivante et terriblement efficace. Comment passer à l’action concrètement dans votre entreprise ? Voici quelques pistes pragmatiques à envisager dès demain :
Jouez les producteurs internes : Pourquoi ne pas lancer votre mini-série d’entreprise ? Identifiez un sujet clé (sécurité, éthique, qualité, etc.) et organisez un atelier avec un·e scénariste professionnel·le. Impliquez des collaborateurs volontaires dans l’écriture de saynètes inspirées de situations réelles. En plus de créer un contenu sur mesure, cette co-création fera monter l’adhésion en interne (fierté garantie de se voir « héros » d’un épisode !).
Exploitez l’existant : Pas besoin de tout produire soi-même. Vous pouvez vous appuyer sur des films ou séries grand public pour introduire un thème en formation. Par exemple, un extrait de série judiciaire pour amorcer un module sur l’éthique, ou une scène de film sur un faux email de prince nigérian pour lancer une session anti-phishing. Le tout est d’encadrer le visionnage par des questions et un débat dirigé, pour relier la fiction à vos enjeux concrets.
Rendez vos contenus épisodiques : Plutôt que de délivrer un bloc de formation en une fois, diffusez-le en plusieurs épisodes courts dans le temps. Chaque épisode peut se terminer sur un petit suspense (« comment le personnage va-t-il résoudre ce dilemme ? »). Cette approche, inspirée du feuilleton, maintient l’attention dans la durée et crée de l’attente entre les sessions. C’est aussi l’occasion de réactiver régulièrement les acquis (un facteur clé pour la mémorisation à long terme (3)).
En adoptant ces stratégies, vous transformerez vos formations en expériences dont on parle à la machine à café, plutôt qu’en obligations vite oubliées. L’appel à l’action est simple : osez innover en intégrant de la fiction dans vos dispositifs de développement des compétences. Commencez à petite échelle, expérimentez un format inédit lors de votre prochain plan de formation, et mesurez l’enthousiasme de vos équipes. Vous serez surpris de voir à quel point l’apprentissage peut gagner en impact quand il s’inspire des ressorts narratifs qui nous passionnent au quotidien. Alors, moteur… ça tourne ! Prêt·e à écrire le prochain épisode de la formation de vos collaborateurs ?
📚 Sources
lefigaro.fr – Adolescence
lefigaro.fr – Collèges